Retour

Le Lièvre, coureur solitaire : le roi des gibiers

lièvre rongeur aux longues oreilles

lièvre rongeur aux longues oreilles

A la royale, à la broche, en trois apprêts ou comme Maman Marcelle !

Quand nous avons choisi le thème de cette rubrique, nous étions très enthousiastes. J’envisageais de nouvelles recettes, je me rappelais les anciennes avec beaucoup de gourmandise.

Mais après quelques jours de recherche et d’infortune, j’ai constaté que le plus dur n’est pas de cuire ou cuisiner le lièvre, – puisque c’est de lui qu’il s’agit – mais de le trouver ou de pouvoir l’acheter et où. Il est loin le temps où les lièvres abondaient. N’ayant pu trouver un lièvre cobaye pour subir mes dernières envies, je puiserai dans les souvenirs et les compétences.

Le roi des gibiers

Le lièvre, coureur solitaire célébré par La Fontaine, rongeur aux longues oreilles, marquées de  pointes noires, a des pattes arrière très longues et puissantes. Adulte, il pèse de 3 à 7 kg, pour une longueur totale de 50 à 70 cm. Le mâle est appelé

jeune lièvre

jeune lièvre

 « bouquin », la femelle : « hase ». Le levraut, jusqu’à 4 mois, est baptisé « financier » avant de devenir « trois-quarts » puis « capucin ». Les jeunes lièvres sont particulièrement recherchés en cuisine. On les reconnaît à un renflement cartilagineux sur les pâtes avant qui disparaît à l’âge de huit mois environ.

 La chasse au lièvre n’est autorisée que du 6 octobre au 8 décembre, uniquement les dimanches et les jours fériés. Le nombre de lièvres tués à la chasse a très fortement diminué. Pour vos achats, privilégiez, en frais, le « gibier de chasse, Chasseurs de France ». La France est un grand pays de chasse et de gibier sauvage, il est dommage d’aller se fournir à l’étranger. Certains, à défaut de lièvre, utilisent le lapin de garenne, mais ils sont différents dans leur mode de vie, leurs caractéristiques physiques et leur viande n’a pas le même gout et s’utilise différemment.

 Comment le cuisiner ?

 Râble cru prêt à cuire...

Râble cru prêt à cuire…

Contrairement à une idée reçue, le lièvre ne doit pas être faisandé mais cuisiné frais. Comme il est tué en plein effort, il faut donc laisser reposer ses muscles au moins une nuit dans le bas du frigo enveloppé dans un torchon. C’est une viande foncée, brun rouge, exceptionnelle, aromatique, corsée, particulièrement maigre et pauvre en lipides. C’est la nature dans l’assiette, la saveur du sauvage.

Si l’on veut attendrir et parfumer les chairs, il suffira de les laisser mariner pendant 24 à 48 heures. Ne pas trop abuser des épices et autres aromates, doser les ingrédients aromatiques. Toutes ces saveurs s’amplifient et s’harmonisent, grâce à une cuisson à l’étouffée. Il est important de travailler le gibier en lui conservant toute son authenticité.

… en trois apprêts

 Râble mariné orange, laurier, genièvre...

Râble mariné orange, laurier, genièvre…

Si je devais cuisiner un lièvre, je le préparerai en trois apprêts. Après avoir retiré délicatement la peau, l’ouvrir et récupérer tout le sang qui s’écoule. Le vider, garder le foie, les poumons et le cœur qui seront mixés pour lier la sauce. Les cuisses et pates avant : cuisinées en civet classique, peut être un peu revisité, accompagné de pâtes fraiches ou d’un gratin de macaronis. Elles peuvent être aussi rôties entières. Le râble rôti, plus tendre, bien saignant pour retrouver le fondant de la viande avec des garnitures colorées et inspirées : en aigre doux, à base d’épices et de fruits : confit de coings à la fève tonka,  potiron, betterave rouge, airelles, kumquats en purées sucrée salée, champignons… (Quand vous chercher à composer une garniture : une règle facile pensez-toujours à associer les légumes, fruits, aromates et produits de la saison, ils auront toujours des affinités)

Toutes les chairs récupérées en désossant la carcasse : pour une terrine au genièvre. Les baies douces amères rappellent la résine du pin et donne une saveur un peu âcre qui se marie bien avec la viande marinée de la terrine.

Préparation et cuisson du Râble d’un beau lièvre « trois-quarts »,

 Le râble, du bas des côtes à la queue, est le meilleur morceau de l’animal, bien adapté aux cuissons courtes. Cette viande aux fibres délicates reste particulièrement juteuse surtout quand on la cuit sur l’os ou protégée du desséchement par une fine barde de lard. Il peut être désossé et les filets poêlés entrent dans certains hors d’œuvre ou des terrines.

 Râble saisi prêt à cuire

Râble saisi prêt à cuire

 La veille, parer le râble, enlever la peau blanche, garder les parures pour la sauce. Assaisonner le râble, intérieur et extérieur, avec le sel, le poivre 5 baies, le romarin (ou une feuille de laurier), les baies de genévrier, une tranche d’orange. Le placer en terrine, couvert d’huile de pépins de raisins (ou d’huile d’olive).

Le jour même, égoutter le râble au moins une heure avant, à température ambiante. Chauffer le four à 200°C th 6/7. Dans un plat de cuisson, le saisir sur toutes ses faces pour une belle coloration régulière. Le réserver au chaud. Dans le plat à rôtir, disposer sur le fond quelques échalotes émincées ou la garniture aromatique de votre choix, poser le râble dessus, les petits filets en dessous. Enfourner 7 mn. En dehors du four, laisser reposer le râble pour détendre les chairs et avoir une belle couleur rosée.

 

 Râble taillé en aiguillette rosée

Râble taillé en aiguillette rosée

Recette  la plus simple à titre d’exemple :

Quelques quartiers de pomme poêlés au beurre demi sel, une crème réduite dans les sucs de cuisson, dégraissés, un filet de vinaigre et une cuillère à café de moutarde. Réduire la sauce à point. Rectifier l’assaisonnement. Découper le lièvre en aiguillettes. Verser quelques gouttes de sang dans la sauce et lier le tout. Dresser le lièvre. Selon votre gout avec la ou les garnitures choisies, le plus harmonieusement possible. N’oubliez pas le visuel flatte l’appétit !

Bonheur, parfums et nostalgie :

le lièvre à la cuillère de Maman Marcelle, au Relais de Farrou…

Maman Marcelle, Papa René, Jacques, mon frère et un client...

Maman Marcelle, Papa René, Jacques, mon frère et un client…

L’évocation du lièvre m’a replongé l’espace de quelques minutes vers une multitude de souvenirs où s’entrecroisent le bonheur, les parfums et la nostalgie.  Il est loin le temps où Maman Marcelle à Farrou, au Relais, préparait le lièvre en civet. Mijoté au four, des heures durant, à petits frémissements, avec une sauce puissante et onctueuse, quintessence sublime, qu’elle liait au dernier moment avec le carré de chocolat noir, le sang et un filet de vinaigre. C’était tellement bon que je  m’empiffrais de croutons de pain rôtis gorgés de sauce, je préférai même cela à la chair du lièvre.

Pour les jours de fête, avec Alès Hyacinthe, fidèle de la maison, Maman préparait le lièvre roulé et farci à la royale. Le summum ! J’apprenais à désosser entièrement l’animal, sans percer la peau et la chair pour le garnir d’une farce riche de lièvre (foie, poumons et cœur), de porc et de foie gras. Là, délicatement garni et reconstitué, nous le roulions dans un linceul, avec émotion et d’infinies précautions, avant de le coudre et le ficeler. Pour qu’il supporte douillettement dans une cocotte, six heures de mijotage, sur le lit d’os concassés, quelques légumes du jardin et un vin rouge corsé.

c'était sa recette, sur un lit d'os concassés des légumes et un vin rouge...

c’était sa recette, sur un lit d’os concassés des légumes et un vin rouge…

C’était sa recette, avec ce petit plus, fruit de ses envies, de ses lectures, de ses secrets cachés. Peut être pas fidèle à la lettre  à celle d’Antonin Carême de 1775, au Larousse Gastronomique et son lièvre périgourdin en roulade ou à la fameuse recette du sénateur Aristide Conteaux et sa compotée poitevine. Ces recettes  firent l’objet de querelles homériques en leur temps. Mais l’on venait de très loin pour déguster ce fameux « lièvre à la cuillère ».

 A cette version, j’ajouterai le lièvre en « cabessal ». La même préparation, mais, le lièvre est roulé sur lui-même. En rappel du fichu que posez sur la tête (la « cabessa ») les travailleurs espagnols, lors des vendanges, pour porter les comportes de raisins. J’ai découvert cette appellation dans le Tarn, près de Gaillac, durant mes dix-huit ans au lbury à Marssac sur Tarn.

 A Lacapelle-Marival chez le maître Vanel

Lièvre à la royale du sénateur, couteaux à la façon poitevine (chef : Robuchon Joël)

Lièvre à la royale du sénateur, couteaux à la façon poitevine (chef : Robuchon Joël)

Lors d’un repas de Noël en famille chez Lucien Vanel, à la Capelle Marival, je devais avoir une dizaine d’années, j’ai dégusté un plat de lièvre qui a marqué mon parcours gourmand. Une Crépinette de Lièvre Lucifer : un plat intelligent et subtil, tout en maitrise et équilibre. quelques morceaux de civet désossés, formés et mijotés en boule dans une crépine, nappée de la « sauce à la royale de Maman » et accompagné d’une poire translucide, cuite au vin rouge, accord parfait de puissance et de délicatesse. Grande interprétation d’un grand chef de tempérament. Comme quoi la cuisine appartient à celui qui l’exécute avec sa passion, sa gourmandise, sa touche et sa signature pour rendre les gens heureux.

Le lièvre à la broche

Râble de lièvre nappé de sauce

Râble de lièvre nappé de sauce

Que je ne saurais oublier. Véritable humanisme. Une grande cheminée, un feu de bois, une mamie, des chasseurs et la famille réunie pour  une tranche de vie. Un lièvre, mariné quelques heures, arrosé de l’eau de vie maison, piqué de lard ou frotté de son sang (selon les habitudes). Une fois embroché, il va tourner quelques trois heures. Pour que les chairs ne soient pas trop sèches, le cérémonial du « flambadou » rythmera cette cuisson lente et douce. Disposez le cône d’acier, au bout de sa longue tige de fer, sur les braises afin de le faire chauffer. Mettre des morceaux de lard dans le cône rougi. Le gras s’enflamme et coule sur la viande pour donner ce goût de fumé, une belle couleur grillée et aussi pénétrer légèrement dans la chair.

 A côté, mamie prépare le saupiquet : une sauce relevée, voire piquante et épaisse, datant du XIVe siècle. Le vin corsé, aromatisé chauffe déjà dans l’âtre. Elle fait revenir dans une casserole les oignons hachés, le foie en dès, de la mie de pain trempée et de l’ail écrasé. Après 10 mn de mijotage, elle arrose avec le vin, un filet de vinaigre et les épices. Réduit encore 10 mn puis passe le tout au moulin à légume, grille moyennement fine. Et enfin, avec délectation, elle lie la sauce avec le sang, sans oublier une lichette d’eau de vie ou d’Armagnac et un soupçon de bonheur. Surtout ne plus faire bouillir. A déguster sans modération en versant généreusement sur les morceaux du lièvre à la broche, avec quelques pommes vapeur et quelques gouttes d’un AOC rouge Coteaux du Languedoc. Un moment de fête, en automne.

Une anecdote, entièrement vraie

Lièvre

Lièvre

Pour terminer cette rubrique. Désespéré de ne pas avoir trouvé mon lièvre, je suis parti chercher des champignons, pas loin de la maison. Un bon matin d’octobre, la température agréable, un soleil levant, tout pour le bonheur. Rien, pourtant, je scrutais les côtés herbacés, humides et boisés du chemin, comme il fallait. Là, près du sommet du talus, à découvert, au pied d’un jeune arbre, blotti dans les herbes, somnolent peut être, une grosse boule de poils gris, une grosse tête et de grands yeux proéminents, de longues oreilles. Le temps que je réagisse, que je prenne le temps de déguster le moment. Un magnifique lièvre et moi, nous regardions, incrédules de savoir quel était l’importun à cet endroit. Le temps me parut long. Avec un profond respect mutuel, nous nous séparâmes, lui dans un bond et une course, moi démuni, mais heureux de l’instant et de cette rencontre.

Relais de Farrou, où je suis né...

Relais de Farrou, où je suis né…

A bientôt, Lièvrement vôtre, Cardaillac Francis

 

Francis Cardaillac Cuisinier Conseil

Bourrelot
12350 Maleville
France

Contactez-moi
Phone : 06 77 79 87 24
E-mail : f.cardaillac@wanadoo.fr

DERNIERES RECETTES


pot au feu en cocotte

Pot au feu des familles : un bonheur partagé

Lire +
Flan de Potimarron renversé au caramel

Flan de Potimarron renversé au caramel

Lire +
Volaille farcie de Trompettes une fois cuite

Volaille farcie de Trompettes, fondante et gouteuse

Lire +

DERNIERS DOSSIERS


Marché de Villefranche de Rouergue chaque jeudi

Cuisine Aveyronnaise de nos Bastides du Rouergue

Lire +
Soupe, Auberge Lou Bourdie, chez Michèle 46 Bach

La Soupe de campagne : Goûts et saveurs d’autrefois

Lire +
Canard de Barbarie

Le Canard des quatre saisons

Lire +