la Cuisine, son évolution, son expression…
Comme chaque année, à pareille époque, en tant que perfectionniste et passionné, je me pose les mêmes questions sur la Cuisine, son évolution, son expression.
Au moment où je vais participer aux Etoiles de Mougins, Festival International de la Gastronomie, (du 19 au 21 09 2014) pour la 8e fois, véritable vitrine de la cuisine du monde, avec force ateliers, démonstrations, dégustations, recettes et chefs étoilés en renom.
Il faut différencier la Cuisine et la Gastronomie.
La Cuisine c’est l’art d’accommoder ce que nous donne la Terre et d’apprêter les mets.
La Gastronomie, un terme souvent galvaudé, c’est « l’art de la bonne chère », la gourmandise et la culture de la table et du bien-manger. Le souvenir des moments, des plats enchanteurs, des bouchées et des gorgées inoubliables, les odeurs de la cuisine du dimanche…
La Cuisine phénomène de société.
Les hommes et les femmes d’aujourd’hui ont retrouvé le chemin de leurs cuisines, de plus en plus confortables et sophistiquées. Ils passent de plus en plus de temps, surtout les week-ends à élaborer les recettes proposées dans les innombrables livres de cuisine, la presse ou à la tv, à moins qu’ils n’aient retrouvé au fond du grenier le vieux carnet de famille.
Mélanger divers ingrédients, c’est facile, tout le monde peut le faire et cela procure une certaine jouissance. La Cuisine c’est surtout privilégier le goût des produits, les arômes, les textures, le contraste et le juste équilibre des saveurs. Le doux avec l’amer, l’acidulé avec le moelleux, le craquant, le ferme, le fondant, le chaud et le froid, la légèreté… pour faire intervenir les cinq sens : toucher, vue, odorat, goût et ouïe. Il ne s’agit pas d’étouffer le produit à la cuisson. De le travestir au point de ne pas le reconnaître ou de tout baser sur la couleur, la forme, la présentation et l’esthétique. Les détails font la différence. La cuisine c’est comme un instrument de musique : il faut apprendre à en jouer, à donner du goût et exalter la vérité et la qualité des aliments que l’on a choisi. « La simplicité absolue est la meilleure manière de se distinguer. » Charles Baudelaire
Le rôle du cuisinier
(toute personne qui cuisine, amateur ou professionnel et non ce terme populaire de « cuistot » qui pour moi est loin d’être flatteur !) commence là où s’arrête l’œuvre de la nature. Il consiste à rendre très bon ce qui est déjà très beau. Avec un peu de tradition, de techniques, d’organisation, de recherche et de créativité.
La Cuisine mode d’expression.
Faite de sincérité, de raffinement et de simplicité, la Cuisine c’est avant tout donner et partager de l’émotion et du bonheur. Un acte de passion, l’expression de ses envies, sa gourmandise, sa sensibilité et son tempérament. Chacun peut ajouter son « grain de sel », sa ponctuation, son imagination : son savoir-faire. Une Signature, l’occasion de raconter une histoire et de rendre les gens heureux.
La Cuisine plaisir.
Celle des saisons. La vie. Un marché de fruits et légumes, pour moi, c’est un livre de cuisine qu’on ouvre à la page de la saison, pour aller chercher l’inspiration entre les étals des producteurs et laisser aller son imagination. A la recherche du meilleur, (pas forcément le plus cher), de la qualité, de la fraîcheur et du local, en visualisant les couleurs, les formes et les parfums, pour mieux le sublimer. Tout commence là. Un véritable bonheur !
La Cuisine familiale.
L’envie de faire plaisir, l’amour des autres transparaissent au travers des aliments et des nourritures que l’on cuisine ! J’ai toujours évoqué, avec beaucoup de nostalgie, cette cuisine simple et chaleureuse, celle de la mère ou la grand-mère qui marque votre enfance. Confectionnée avec amour, à la maison, pour les enfants, rentrant de l’école et la famille, ces plats mijotés, avec presque rien, à la fortune du pot ou du jardin, pour réconforter, nourrir et donner du bonheur. Tout ce petit monde autour d’une bonne table, pas de tv, racontant sa matinée, première éducation de l’enfant aux joies de la table et du partage. Tout cela a malheureusement volé en éclats, avec l’évolution que l’on connaît. On revient toujours à ce qu’on a appris en premier.
La Cuisine de « chez nous ». La cuisine mémoire.
On essaie de retrouver les produits et les racines, notre culture et notre identité régionale. Durant tout l’été, on attire et on rassasie les touristes et vacanciers avec force de marchés gourmands ou de producteurs, de repas et de fêtes. Avant chaque vide-grenier, les tripoux et la tête de veau, s’imposent comme l’indispensable manifestation conviviale pour perpétuer le folklore et transmettre le patrimoine aux jeunes générations. Reflets d’un terroir et de sa cuisine, sûrement, mais qui a perdu un peu de son âme, avec abondance de paella et autres interprétations….
J’aime ma région, ces plats simples « vieux comme l’amour », tant ils sont enracinés au plus profond de nos coutumes. Je suis un inconditionnel du produit, goûteux et authentique, du beau et du bon, des marchés et il faut soutenir le véritable et le local. Mais, que vont-ils retenir, sinon le plaisir de se retrouver très nombreux et une image passablement faussée de la gastronomie et du bien-vivre local.
La Cuisine du « fait maison ».
N’est-ce pas le véritable rôle d’un cuisinier de restaurant ? Choisir les meilleurs produits, les préparer avec envie, plaisir et passion, pour nourrir et satisfaire des clients payants qui vont lui faire confiance et lui confier quelques instants leur santé en gage ?
Pourquoi un tel battage ?
Parce qu’on s’aperçoit maintenant que de nombreux restaurants s’ouvrent tous les jours, sans qualification, avec des cuisiniers improvisés, rois des assemblages du déjà tout préparé. Avec soi-disant une plus grande efficacité et un meilleur profit, peut être aussi par une absence de personnel qualifié ?
Cela fait des années que cela a commencé. Jeune, je militais avec C.Izard et les « Tables gourmandes tarnaises » pour mettre en valeur cette profession d’artisan cuisinier, ces auberges et restaurants, havres gourmands de plaisirs vrais. J’ai confiance aux goûts des clients qui d’eux-mêmes savent distinguer l’authentique du « tout préparé » et au « bouche à oreille ». Il en faut aussi pour tous les budgets et toutes les sensibilités.
La Cuisine gastronomique. Une cuisine d’aujourd’hui à la lumière du passé.
Un véritable cuisinier professionnel doit préserver, cultiver et perpétuer la légende
des traditions, véritable source d’inspiration, et les produits rares et exceptionnels de sa région. Je pense entre autres à Nicole Fagegaltier, à Michel et Sébastien Bras…, phares et exemples parfaits de toute une région…
A partir de leurs origines familiales, ils créent une cuisine de terroir allégée, métissée et réveillée, où chaque produit est respecté dans son goût, sa couleur, sa personnalité, sa particularité, avec un soupçon de voyage et de méditation.
Il nous appartient, à nous, cuisiniers, restaurateurs, de préserver ce patrimoine pour le faire vivre, le transmettre aux générations futures et le faire partager et apprécier à nos clients. Une cuisine doit être un bonheur que l’on n’oublie pas. Nous sommes des marchands de souvenirs et devons faire attention à chaque détail, pour que chaque instant, soit pour le client une expérience inoubliable.
La Cuisine spectacle,
hyper médiatisée. Émissions tv, véritables combats de « chefs », scénarisés, où la tension est au paroxysme pour maintenir en haleine et aussi l’audience. Qui va gagner ? Image d’une cuisine spectacle, sans odeurs, où les cuisiniers professionnels ou amateurs s’affrontent dans l’arène, en quête de notoriété. Tout cela a incontestablement démystifié et diffusé la cuisine mais avec des abus certains.
Certes, il y avait vraiment un déficit de transmission de la cuisine de la mère à la fille, depuis l’avènement du travail des femmes. Regardez chez votre libraire et marchand de journaux la quantité d’éditions, de livres et de magazines culinaires. Ne sommes-nous pas proche de l’indigestion ? Une mode, une tendance, est-ce vraiment cela la cuisine ? Reflet d’une civilisation, du superflu, du paraître, de l’éphémère, de l’instantané, du vite-prêt, des voyages et de la mondialisation.
La Cuisine du monde,
d’échanges et de découvertes. La cuisine n’est pas un art figé,
mais en parfaite évolution. L’identité française est le fruit d’un brassage de peuples, d’échanges et de l’enrichissement des différences de l’autre. L’exotisme est à la mode.
La planète gastronomie est en train de réinventer, de revisiter en s’ouvrant sur l’extérieur. Sans ces apports exotiques nous ne connaîtrions pas la tomate, le haricot, le cacao… Les voyages sont porteurs de magnifiques découvertes qui viennent enrichir le répertoire des saveurs connues. Des produits d’ici et des parfums d’ailleurs ou des produits d’ailleurs avec l’accent d’ici….
Mais ne tombons pas dans l’excès et la copie. Il survivra toujours immuablement la seule cuisine de la Vérité, authentique, personnalisée et signée, reposant toujours sur le meilleur du produit.
« La cuisine d’un peuple est le seul témoin exact de sa civilisation » Marcel Rouff, poète, romancier, un des fondateurs de l’Académie des Gastronomes avec Curnonsky.
Lors de mes ateliers de cuisine, cours ou repas, mon souci est de coller toujours au plus près aux désirs des participants, transmettre un savoir, une passion, un héritage, une trace plus que du spectaculaire. La vraie cuisine est une forme d’Art, un cadeau à partager.
“La bonne cuisine est la base du véritable bonheur” A. Escoffier, Cuisinier, le plus célèbre de son temps, et auteur culinaire, mai 1911.
« Être chef de cuisine et appartenir à l’élite étoilée de la gastronomie ne se résume pas à dominer la technique et la créativité, c’est aussi s’impliquer à transmettre aux futures générations. Voici à mes yeux une formidable mission, un acte de confiance dans l’homme et l’avenir. C’est s’ouvrir au progrès et à l’innovation. Donc on ne transmet pas seulement ce que l’on a reçu en héritage…, on transmet ce que l’on est« . Joël Robuchon
Cuisinement vôtre Francis Cardaillac